« […] Logres, domaine de feu le Roi Arthur Pendragon, en l’an de grâce 515 de l’ère de Notre Seigneur Jesus-Christ, …

J’ai accosté trois jours plus tôt. Je n’ai pas écrit depuis mon arrivée faute d’en avoir le temps. La lande est ici très accueillante, il se raconte que l’herbe y est grasse et humide tout au long de l’année. L’étoile du Nord brille par-delà les nuages et à l’exception de mes protégés je suis comme seul entre ciel et terre jusqu’à perte de vue, enfin presque seul... La nuit est vivante et confiante, elle ne doute pas de revenir demain soir pour occuper à son tour l’espace qui comble le vide des consciences endormies. Il est vrai que le jour est timide en cette saison froide et qu’il ne lui dispute guère la place en termes d’animation.

Le ressac des vagues fait son œuvre, les falaises changent peu à peu de visage et prennent une nouvelle forme… Il est temps de relancer les osselets et de voir rebondir les événements ainsi engendrés… Il est temps que la Bretagne ait un nouveau roi, un véritable souverain ! Le pays s’est surpris à croire que le moment était propice et vingt-cinq années après la mort d’Arthur, l’espoir renaît de deux lignées que tous les érudits pensaient éteintes. Qui aurait pu imaginer qu’une pareille chose se produirait ?

Elyr-Ann Pendragon, la fille de Mordred Pendragon, réclame la couronne et le titre de son grand-père pour unir son destin à Gareth Orkney McLeod, le dernier fils de Loth d’Orcanie… Une fille inavouée et un fils que tous croyaient mort issus de deux familles que l’Histoire a opposées, tout cela parut de prime abord douteux et irrévérencieux. Il fallut la parole de Morgane, sœur d’Arthur toujours vivante et d’un Myrdhin hors d’âge qui fut son précepteur pour confirmer les ascendances des deux promis. Une fois cela juré en présence de plusieurs vassaux renommés, les deux futurs époux promirent de donner un sens nouveau à la royauté qu’ils recevaient ainsi en héritage.

C’en serait fini de la guerre, des rapines et des dissensions qui empêchent le royaume de se défendre contre ses ennemis ! Logres et Orcanie s’uniraient pour devenir un nouveau royaume, le plus grand qui ait jamais existé sur l’Ile des Géants ! Bien entendu, certains sont sceptiques, certains autres hostiles, mais plus nombreux encore sont ceux qui espèrent cela vrai ! Tous les présents pourront constater la volonté des deux futurs régnants d’en découdre si nécessaire avec ceux qui voudront empêcher leur vision d’unité de devenir réalité lors de leurs épousailles qui auront lieu bientôt et auxquelles j’ai l’honneur d’être invité. Enfin, invité est un bien grand mot.

Le rassemblement a commencé, bientôt la fête battra son plein et dès que les invités les plus prestigieux seront arrivés, les noces seront célébrées et fêtées de plus belle ! J’observe le campement de loin depuis hier, le vieux Myrdhin a bien choisi les lieux…

On peut voir venir depuis l’horizon dans toutes les directions, impossible de prendre la position par surprise, de plus des campements ont été disposés alentours pour servir d’avant-postes et de guets. La bâtisse qui a été choisie pour abriter les délégations est composée de maisonnées qui sont organisées en place-forte, les murs extérieurs n’ayant presque aucune ouverture et les constructions se jouxtant, formant ainsi le rempart continu de ce qui rappelle Camelot dans sa forme : un castel dos à la mer et dont le toit était percé d’un atrium qui inondait le trône de la clarté diaphane du jour.

Je m’y rendrai demain, je vais dormir encore une nuit comme au bon vieux temps de la légion. Les curetons que j’accompagne sont frileux et ronfleurs, ils espèrent que les rumeurs concernant l’union à laquelle nous allons assister sont surfaites et qu’ils pourront officier selon le rite chrétien apostolique romain… Je ne veux pas les effrayer, mais je crois avoir perçu l’arrivée d’autres délégations cléricales qui sont peut-être là pour la même raison. J’en ris d’avance ! J’adore voir les ministres du divin se peigner la figure à coups d’encensoirs !

Plaise aux deux promis de s’unir comme bon leur semble, pourvu que demain soir je puisse me remplir la panse d’une cervoise tiède et qu’une donzelle bien intentionnée à mon égard endorme mes rhumatismes par ses caresses ! J’ai oui dire que nous serons très bien logés, au point que j’aurai peut-être ma propre chambre, moi qui ne suis là que pour assurer la sécurité de ceux que j’accompagne, cela me changera de la tente soumise aux caprices de Jupiter et d’Hermès !

Vivement demain, que je sache si j’ai bien fait d’endurer vents et marées pour venir jusqu’ici assister à ce mariage. J’ai hâte de rencontrer la jeune Pendragon et de participer à son tournoi, il paraît qu’elle entrera en lice avec ses chevaliers ! On raconte qu’Orkney aurait passé un moment en Aquitaine et qu’il y a fait ses classes mais qu’il est plus doué pour la politique que pour les armes. Un drôle de couple quand on y pense, à l’envers des habitudes et des conventions, à l’envers du monde tout bien pensé. […] »

Lucius Vorenius

Centurion émérite de la IX^e Légion, Journal de voyage - Carnet III feuillet XIX

J.N_2013

Prologue

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